En politique, il n'est pas si fréquent d'admettre la victoire de son adversaire direct en Afrique. La présidentielle du 20 décembre 2023 en République Démocratique du Congo semble ne pas déroger à ce principe. Pourtant au sortir d’un scrutin de cette nature, quelques éléments permettent d’analyser la victoire proclamée par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) de Félix Tshisekedi.
Les élections générales congolaises, tenues le 20 décembre 2023 se sont déroulées dans des conditions difficiles. Acheminement du matériel électoral jusqu’aux dernières heures avant le vote, inaccessibilité à certaines régions, prolongement du vote sur plusieurs jours pour permettre aux personnes n’ayant pu voter de le faire, cas de bourrage d’urnes dans le camp présidentiel mais aussi dans celui de l’opposition. Beaucoup de problèmes ont été recensés et dénoncés par certains candidats.
Toutefois, il est important de noter qu’il s’agit de ratés qui sont souvent constatés lors d’élections sur le continent. Pour le président de la CENI mais aussi pour certains candidats qui ont félicité le président sortant pour sa réélection brillante, ces couacs ne sont pas de nature à entacher la sincérité du scrutin.
Est alors déclaré vainqueur de la présidentielle avec 73, 34% des voix, le candidat n°20 Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Arrive en deuxième position, Moïse Katumbi Chapwe avec 18,08% des voix, loin devant Martin Fayulu et ses 5,33% des voix. Un écart très important dont les raisons se trouvent dans les stratégies adoptées par chacun des camps à cette élection présidentielle.
ENTRE VISIBILITE ET STRATEGIE DE COMMUNICATION
L’écart de communication entre le président sortant et ses adversaires direct était très grand à cette élection. Félix Tshisekedi a mis les ressources afin de communiquer sa vision le plus loin possible. Son challenger principal Moïse Katumbi n’a pas eu la même réussite.
Des panneaux géants du président sortant étaient visibles dans toutes les grandes villes du pays, avec des messages en langue dans chaque région afin de toucher les habitants pris isolément. Une couverture nationale que Moïse Katumbi n’a pas pu avoir, la faute sans doute à une mauvaise stratégie de l’équipe de l’opposant.
Dans son entourage, on explique que certaines régions semblaient très hostiles au candidat d’où la stratégie de ne pas y déployer tous les supports de communication nécessaires.
Aussi est-il important de signaler que la plupart des soutiens du président sortant ont produit leur propres affiches avec leurs images mais avec derrière eux, Felix Tshisekedi. Tout ceci, en dehors des affiches faites par le candidat président lui-même.
Les soutiens de l’opposant principal Moïse Katumbi n’ont pas eu cette idée ingénieuse. La République Démocratique du Congo, pays comptant encore des millions d’analphabètes numériques n’a donc pas pu forcément avoir accès aux projets et programme de l’opposant.
DE LA STRATEGIE ADOPTEE AVEC LES PARTENAIRES POLITIQUES
C’est sans doute à ce niveau que Félix Tshisekedi a creusé encore un peu plus l’écart. Si les deux candidats ont fait à peu plus le même nombre de meetings dans le pays, le président sortant laissait ses alliés aller eux-mêmes dans leurs propres fiefs pour mobiliser en sa faveur. Ainsi, Bemba Jean-Pierre, Vital Karerhe, Augustin Kabuya, Modeste Bahati pour ne citer que ceux-là étaient déployés chacun dans sa région pour battre campagne. Une véritable machine électorale si l’on ajoute les candidats aux différentes élections législatives, municipales, provinciales et locales.
Hormis Matata Ponyo qui a battu campagne à Kindu mais aussi à Goma, la plupart des soutiens de Moïse Katumbi se contentaient de le suivre sur son itinéraire de campagne. Jean-claude Vuemba, Olivier Kamitatu, Seth Kikuni, ou encore Franck Diongo n’ont donc pas été d’un grand secours pour le candidat de Ensemble pour la République.
UN DISCOURS DE CAMPAGNE QUI FAIT MOUCHE
C’est connu, la politique est le terrain par excellence ou tous les coups sont permis. Le candidat Président n’a pas hésité une seconde à traiter son challenger principal de « candidat de l’étranger » ou encore de « candidat de Paul Kagamé ».
Une attitude dont le but est de jouer sur la fibre patriotique des populations, dans un pays qui subit des attaques permanentes de plusieurs centaines de groupes rebelles dont certains sont accusés d’être financés par les pays limitrophes de la République Démocratique du Congo.
DESUNION AU SEIN DE L’OPPOSITION
L’autre élément qui nuit grandement aux opposants est leur capacité à s’unir. En effet, dans un scrutin présidentiel à un seul tour ou le vainqueur l’emporte à la majorité simple, l’opposition aurait pu gagner si elle avait décidé de se fédérer autour d’un seul candidat.
Plusieurs ténors de l’opposition politique étaient en conclave en Afrique du sud, mais certains ont estimés quelques semaines avant le scrutin qu’ils n’entendaient être de cet accord que si les autres acceptent de se ranger derrière eux. C’est notamment la posture de Martin Fayulu. Le Docteur Dénis Mukwege, prix Nobel de la Paix a aussi refusé de se ranger derrière un candidat.
Seuls l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo, le député Delly Sesanga, Seth Kikuni et Franck Diongo ont soutenu Moïse Katumbi a ce scrutin. La stratégie de la plupart des opposants aura donc conduit à la dispersion des voix, qui profite évidemment au camp du président sortant, qui lui a réuni à ses côtés de nombreux présidentiables, dont Jean-Pierre Bemba, Vital Kamerhe et bien d’autres.
DE LA COUVERTURE DU VOTE LUI-MEME
L’Union sacrée, regroupement de plusieurs partis a pu déployer son arsenal afin de se faire représenter par deux témoins dans chaque bureau de vote. De quoi permettre aux représentants de chaque candidat proche du régime, d’avoir les procès-verbaux de chaque bureau de vote afin de pouvoir porter des réclamations en cas de fraude.
L’opposition, sans doute faute de moyens, n’a pu assurer une telle couverture du vote. La CENI a d’ailleurs recensé les cas de fraude et décidé d’invalider les postes pour 82 candidats au total, parmi lesquels trois ministres et quatre gouverneurs provinciaux. Le vote a en outre été totalement annulé dans deux circonscriptions pour fraudes et intimidations.
Des éléments qui, ajoutés aux conclusions des missions d’observations, notamment celle des églises catholique et protestante, laisse penser à une victoire du président sortant. En effet, le rapport, signé par Monseigneur Marcel Utembi, Archevêque de Kisangani et président de la CENCO et par le Révérend Docteur André Bokundoa Bo-Likabe, président de l’ECC, salue la vigilance du peuple congolais qui a mis à découvert des cas d’irrégularités.
Le rapport ajoute que « ce geste civique hautement symbolique prouve à suffisance que le peuple congolais a atteint une maturité qui ne peut plus permettre une manipulation politicienne ou l’imposition de la fraude électorale ».
Une position qui semble bien légitimer le scrutin du 20 décembre malgré les irrégularités qui ont pu être observées. Félix Tshisekedi entamera bientôt son second et dernier mandat à la tête de la République Démocratique du Congo, pays continent qui a décidé de lui renouveler sa confiance.
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