Le Mali s’engage dans une réforme de son système judiciaire avec un nouveau décret publié au Journal officiel le 30 août et dévoilé publiquement le 9 septembre 2024. Ce texte, fruit des travaux du Conseil des ministres, attend encore d’être ratifié par le Conseil national de transition (CNT), avant de prendre effet. Alors que la réforme introduit des changements notables, certains aspects soulèvent des préoccupations, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression des magistrats dans une période marquée par des tensions politiques et une pression croissante sur l'indépendance judiciaire.
Nouvelles dispositions : des ajustements qui intriguent
La réforme, détaillée dans un document de 16 pages, propose des modifications sur plusieurs points clés de l'organisation du corps judiciaire.
Parmi ces nouveautés figure la révision des critères d'accès à la profession de magistrat.
Jusque-là, une maîtrise en droit était nécessaire pour se présenter au concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature.
Désormais, une simple licence suffira. Selon Oumar Berté, avocat et expert en droit public, cette mesure vise à élargir le vivier de candidats, permettant à un plus grand nombre de jeunes diplômés d'aspirer à la magistrature.
Cependant, cet assouplissement des critères académiques suscite des interrogations sur la rigueur et la qualité des futures promotions.
« Réduire les exigences peut être perçu comme une ouverture, mais cela ne doit pas compromettre la qualité du service public de la justice », explique Berté.
Outre cette évolution, la réforme introduit une restructuration significative au sein de la Cour suprême.
La section des comptes, autrefois intégrée à la Cour suprême, devient désormais une entité indépendante appelée Cour des comptes, en conformité avec les exigences de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Cette mesure vise à renforcer le contrôle des finances publiques, un domaine particulièrement sensible dans le contexte actuel de transition politique et économique au Mali.
En parallèle, la réforme consacre la création d’un nouveau statut : celui de « magistrat honoraire ».
Cette disposition permet aux magistrats retraités de continuer à exercer leurs fonctions à titre bénévole.
Bien qu'il s'agisse d'un geste visant à conserver l'expérience et le savoir-faire des anciens juges, certains estiment que cette nouvelle catégorie de magistrats pourrait prêter à confusion et compliquer la hiérarchie judiciaire.
Liberté d'expression : un encadrement renforcé
Cependant, c'est sur la question des libertés des magistrats que la réforme suscite le plus de débats.
Le texte rappelle que les magistrats jouissent de la liberté d'expression et du droit de participer à des associations professionnelles ou syndicats.
Mais il y ajoute une condition ambiguë : ces droits doivent être exercés « dans le respect de l’autorité de l’État » et « de l’ordre public ».
Des formulations qui laissent place à de multiples interprétations. Oumar Berté s’inquiète de la portée de cette clause : « À partir de quand peut-on considérer qu'un magistrat a dépassé les limites ?
Comment déterminer si ses propos constituent une atteinte à l'autorité de l'État ou un trouble à l'ordre public ? », questionne-t-il.
Cette question de l'encadrement des libertés des magistrats trouve un écho particulier dans le contexte politique actuel.
En août 2023, l’avocat Cheick Mohamed Chérif Koné, alors membre de la Cour suprême, a été radié après avoir accusé les autorités de la Transition d’instrumentaliser la justice à des fins politiques.
Cette radiation, suivie de son exil, a provoqué un véritable tollé, symbolisant pour beaucoup la soumission de la magistrature au pouvoir en place.
Depuis son départ forcé, Koné continue de critiquer ouvertement le gouvernement depuis l'étranger, se posant en farouche opposant au régime de transition.
Un climat judiciaire sous tension
Depuis le début de la transition politique, les procès visant des individus ayant exprimé des opinions critiques à l'égard des autorités se sont multipliés.
Des accusations telles que « opposition à l’autorité légitime » ou « atteinte au crédit de l’État » sont régulièrement portées contre des militants, journalistes ou personnalités publiques.
Ce climat de méfiance et de répression pèse également sur la magistrature, où l'indépendance des juges est de plus en plus remise en question.
Le décret en cours de ratification pourrait accentuer cette tendance, en limitant davantage la liberté d'expression des magistrats sous couvert de préservation de l’ordre public.
« Ce texte pourrait, en théorie, être utilisé pour museler les magistrats qui osent critiquer les actions du gouvernement, en les accusant de saper l'autorité de l'État », prévient Berté.
Les termes vagues et interprétables du décret inquiètent non seulement les magistrats eux-mêmes, mais aussi les défenseurs des droits de l'homme et les observateurs internationaux, qui craignent un retour en arrière en matière de libertés civiles.
Une modernisation nécessaire, mais à quel prix ?
En dépit de ces inquiétudes, la réforme judiciaire contient des éléments de modernisation qui répondent aux attentes de certains partenaires internationaux, notamment en ce qui concerne la transparence et l'efficacité du système judiciaire.
La création d’une Cour des comptes indépendante est saluée par de nombreux experts comme une avancée majeure, tout comme la clarification de la hiérarchie des magistrats et l’introduction du statut de magistrat honoraire.
Néanmoins, ces avancées pourraient être éclipsées par les restrictions potentielles aux libertés individuelles.
La magistrature, qui se veut l’un des garants de la démocratie, se retrouve aujourd’hui à un carrefour délicat.
Alors que le pays se dirige vers des échéances politiques cruciales, la place et le rôle de la Justice dans le maintien de la stabilité et de l'État de droit au Mali sont plus que jamais en question.
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